Folle d'histoires!
(Elle entonne maladroitement un fragment du refrain déformé de «La Maladie d’amour» de Michel Sardou) «Elle court, elle court, la maladie des histoires, dans le cœur des enfants, de sept à soixante-dix-sept ans»… Pis moi j’en ai vingt-neuf pis j’carbure encore aux histoires! (Elle rit) Assez pour avoir été taxée d’histrionique infantile par le psychiatre Jean Renaud qu’y’était donc content d’avoir sa tendre moitié le DSM en tête pour se comprendre...
(Hors de soi) Pis moi là-dedans! J’ai jamais été une briseuse d’union, mais fallait-tu que j’me résigne à être un témoin – un de plus – de sa (elle mime des guillemets) «noce d’argent»? Une union financièrement profitable, on s’en cachera pas, han, quand tu gagnes 300 000 piastres par année pour riposter à ta patiente pas patiente que t’embarqueras certainement pas dans son histoire!
À quoi bon s’raconter, alors, si on peut pas l’faire d’la manière dont nos tripes nous l’dictent? C’toujours ben pas d’ma faute si j’parle, depuis qu’j’suis haute comme trois pommes, de ma détresse en ayant recours aux contes... Des contes à dormir debout, oui, parfois, je l’avoue, mais c’pas comme si la souffrance savait pas s’travestir! Pis si elle sait si bien s’travestir, c’est peut-être parce qu’elle est trop grande pour se montrer sans déguisement, han!
Quand tu t’présentes à l’autre avec une armure d’histoires, c’pas pour le trip de s’jouer de lui ou d’elle! C’parce que ça fait un quart de siècle que tu t’construis un bouclier de fictions pour farder les déceptions, com-penser les manques, calmer les irritants, te protéger de la bêtise humaine, composer avec tes peurs, mettre un peu de fantastique – pas le pouche-pouche nettoyant, là… – dans le quotidien de tes proches aigriEs, te prémunir contre le rejet, soustraire à la vue de toutes et tous ta grande fragilité, rehausser ton estime… le peu qu’t’as!
Vingt-cinq ans à camoufler tellement de choses, qu’à un moment donné, tu t’es camouflée, toi, complètement, sans même t’en rendre compte. (Elle mime l’éclatement) Paf! T’es disparue derrière tes histoires! Pis le psychiatre refuse de jouer à la cachette avec toi, maintenant! Le risque est ben trop grand qu’y r’trouve, en chemin, sa part d’humanité qu’y’a reniée, han! Qu’est-ce t’en penses?