Les grandes personnes aiment les chiffres

 

« Les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d'un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur l'essentiel. Elles ne vous disent jamais: "Quel est le son de sa voix? Quels sont les jeux qu'il préfère? Est-ce qu'il collectionne les papillons?" Elles vous demandent: Quel âge a-t-il? Combien a-t-il de frères? Combien gagne son père?" alors seulement elles croient le connaître. Si vous dites aux grandes personnes: "J'ai vu une belle maison en briques roses, avec des géraniums aux fenêtres et des colombes sur le toit..." elles ne parviennent pas à s'imaginer cette maison. Il faut leur dire: "J'ai vu une maison de cent mille francs." Alors elles s'écrient: "Comme c'est joli !". »

 

S’il est vrai que les grandes personnes aiment les chiffres, je dois vous confier que j’ai grandi beaucoup plus vite que je ne l’aurais dû.

Vers l’âge de 14 ans, le pèse-personne est vite devenu mon meilleur ami, mon seul ami. Et puis, je me suis vite aperçu qu’avoir faim provoquait chez moi une douce euphorie, comme si je réussissais quelque chose de grand, quelque chose qui me rapprochait du fait d’être parfaite.

Et puis, insidieusement, le chiffre affiché sur ma balance est vite devenu une obsession. À mes yeux, je n’était plus qu’un chiffre, chiffre qui devait impérativement être plus bas que la veille. Je prenais toute les mesures possible pour réussir ce but, cet auto-sabotage dont je n’avais aucune conscience. J’étais dans le déni, trop aux prises avec cet abuseur; abuseur qui ne me voulait que du mal.

 

J’étais une hirondelle. Et mon trouble mental venait de me couper les ailes.

Vint le point de rupture.

 

Je me suis isolée. De ma famille. Des mes amis.

Je restreignais ma nourriture autant que je pouvais. Je restreignais aussi l’eau que je buvais pour être sûre que mon poids affiché sur la balance soit le plus précis possible.

 

Il fut un point, un point où mon corps cessa d’encaisser les chocs que je lui faisait subir. Il fut un point où mon cœur me criai d’arrêter de me faire souffrir de la sorte en arrêtant de battre à un rythme adéquat, de même que mes reins cessaient de fonctionner correctement.

Sa manière de se venger sur les mauvais traitements qu’il subissait par ma faute, mon corps décida de me faire perdre connaissance sporadiquement.

 

Je fus hospitalisée. Mon meilleur ami fut séparé de moi et on me mit en prison. Enfin, c’était ce que je ressentais. J’étais encore dans le déni lorsqu’on m’a diagnostiquée boulimique. On devait m’accompagner aux toilettes, on mesurait ce que je buvais et mangeais.

 

J’ai pleuré, j’ai hurlé, j’ai refusé de m’alimenter pendant plusieurs jours, les infirmières et mon psychiatre n’en démordaient pas. JE DEVAIS MANGER.

 

Il est vrai qu’il est facile de dire à quelqu’un qui a un trouble alimentaire:<< Mange, c’est tout!>>

            Je répondrai à celui-ci que pour certaines personnes, se retrouver dans une foule est une phobie. Pour d’autre, cette peur intense est attribuable aux araignée. Et bien moi, ma phobie était de manger. Et l’hôpital me contraignait à manger 3 repas par jour ainsi que de prendre 3 collations dans le même temps. C’était horrible; imaginez faire face à votre plus grande peur 6 fois par jour! Imaginez que pour survivre seulement, je devais faire face à ma phobie un nombre écrasant de fois.

 

C’était horrible mais peu à peu, des changements s’opérèrent en moi. Les repas furent moins chaotiques. Je repris contrôle de moi et cessai d’être abusée pas la boulimie trouvant cachette dans les tissus fragile de mon cerveau.

 

Et, ce que je croyais impossible est arrivé.

Alors qu’on me pesait un matin, je lâchai prise et ne regardai pas le nombre affiché sur la balance. Je ne voulais plus d’une balance comme meilleure amie. Je voulais retrouver ma vie d’avant et je ne pouvais le faire sans dire au revoir à ma plus grande obsession. Ce geste eut des répercussion énorme sur les jours suivant.

 

Et moi qui pensait que lorsque l’on coupe les ailes des oiseaux, celles-ci ne repoussaient pas, on me donna enfin mon congé définitif de l’hôpital; on me poussa en dehors du nid. Je pensai tomber au sol mais j’étendis mes nouvelles ailes. Je pris enfin mon envol.


Je lâche prise, et j'ose vivre!